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par Antoine Touzain,
Doctorant contractuel chargé d’enseignement à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)


1. Quitte à passer pour un maître dans l’art de l’autocitation, les réflexions qui suivent ont vocation à poursuivre celles menées à propos du statut des biens magiques. Car s’il n’est guère besoin d’un sixième sens pour voir des gens morts dans Harry Potter, l’analyse juridique de leur statut semble suffisamment proche du droit des biens pour qu’il soit justifié de reprendre l’analyse sous cet angle particulier.

2. Les fantômes ne sont évidemment pas inconnus du monde des moldus. Les manifestations des présences surnaturelles sont trop fréquemment rapportées pour que l’on s’y arrête. Et le droit lui-même n’est pas en reste, le fantôme des anciens auteurs, tels Josserand, planant parfois au-dessus du Quai de l’Horloge (J. Hauser, RTD civ. 1995. 604). Quoi de plus normal, quand l’on sait que la genèse du droit réside sans doute dans la réunion contre les menaces de la nuit, et des fantômes qui la hantent (Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, Anthologie du droit, 2013 (rééd. 2001), p. 61) !

Les fantômes ne sont donc pas des figures étrangères au monde moldu, mais y sont vus comme des créatures menaçantes, hérissant les poils et faisant trembler les corps. Les sorciers, au contraire, estiment que ces apparitions peuvent jouer un rôle dans la société, justifiant que le droit intervienne pour accorder un statut particulier aux fantômes.

3. Encore faut-il s’entendre sur la notion de fantôme. Et l’en distinguer, déjà, des manifestations temporaires des personnes décédées : en effet, le fantôme se singularise par sa permanence, ayant vocation à se maintenir sur terre – car, précisément, le sorcier craignait la mort, se rattachant désespérément à la vie. Ne sauraient ainsi être considérées comme des fantômes les apparitions lors du priori incantatum (CF, chap. 36) : il s’agit en réalité de souvenirs des anciens sorts, dont les sortilèges de mort, mais non des personnes décédées elles-mêmes. De même, la pierre de résurrection ne crée pas de fantômes, mais fait revenir, à chaque utilisation, le souvenir d’une personne décédée. Certes, ce souvenir présente une consistance (RM, chap. 34), mais la personne décédée ne souhaitant pas retraverser le rideau, elle n’est qu’une représentation triste (RM, chap. 21), le reste de sa personnalité restant au-delà.

Ces figures écartées, la notion de fantôme pose une vraie difficulté, car il faut exclure, d’emblée, une confusion : ainsi que l’affirme Nick-Quasi-Sans-Tête, Peeves fait une horrible réputation aux fantômes… alors même qu’il n’en est pas un (ES, chap. 7) ! Pas d’amalgame ! Les fantômes (ghosts) sont des esprits, des « faibles imitations de la vie » (OP, chap. 38) ; tandis que les esprits frappeurs (poltergeists) sont des non-êtres, au même titre que les détraqueurs, les spectres ou les épouvantars. Les fantômes sont une résistance de l’âme d’un défunt ; les esprits frappeurs des créatures sui generis, apparues ex nihilo. En somme, la qualité de fantôme est dérivée ; celle d’esprit frappeur originaire.

Mais comment distinguer concrètement le fantôme de l’esprit frappeur ? Ce dernier, tel Peeves, est tangible : il peut lancer des objets à la tête des élèves, boucher les serrures à l’aide d’un chewing-gum, et souffrir de voir celui-ci catapulté dans sa narine gauche (PA, chap. 7). Rien de tel pour le fantôme : l’on passe à travers, et les perturbations qu’il peut créer dans l’eau, l’air et le feu, même si elles permettent à Mimi Geignarde d’éclabousser les étudiants et au regard du Basilic d’être atténué, ne viennent pas appuyer une véritable corporéité du fantôme.

La distinction paraît quasi fondamentale, l’opposition naturelle entre fantômes et esprits frappeurs paraissant trop irréductible pour que des règles communes puissent leur être appliquées. Il faut pourtant étudier ces deux créatures, de manière à asseoir cette distinction de manière définitive. C’est seulement alors que le Ministère de la magie pourra efficacement légiférer sur la question.

4. Car le constat est là : rares sont les grimoires, même des glossateurs, qui résolvent cette problématique. Vide doctrinal regrettable, qui se double malheureusement bien souvent d’un vide législatif tendant à l’insécurité juridique. Faut-il vraiment s’étonner qu’à l’absence de corpus charnel réponde un défaut de corpus législatif ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la réponse est positive : le droit ne s’intéresse-t-il pas principalement au comportement moraliter, et non corporaliter (Carbonnier, Flexible droit, op. cit., p. 70) ? L’on constate ainsi la difficulté de cette étude, justifiant de revenir sur la qualification des fantômes et esprits frappeurs (I) pour tenter d’en construire le régime (II).

I. Qualification

5. La qualification de fantôme paraît liée à celle de bien. À appliquer la summa divisio cardinale du droit français, il faut sans doute exclure la qualité de personne (A), ce qui devrait faire tomber le fantôme dans la catégorie de bien (B). Mais est-ce pleinement satisfaisant ?

A. Une personne ?

6. Si la qualification de personne doit être sans doute rejetée pour les uns comme les autres, il faut, ici comme ailleurs, distinguer les esprits frappeurs des fantômes.

7. Dès lors que la personnalité n’est acquise qu’aux êtres humains nés vivants et viables, et ce jusqu’à leur décès, il est évident que les esprits frappeurs sont exclus. Ils n’ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais assimilables à des personnes : Peeves est un non-être, n’ayant jamais existé autrement que comme fauteur de troubles à Poudlard.

Ainsi, juridiquement, l’on ne conçoit pas comment l’esprit frappeur pourrait prétendre à la qualification de personne. Le souhait de le protéger pourrait éventuellement conduire à lui ouvrir la qualité de sujet de droit (Demogue, « La notion de sujet de droit, caractères et conséquences », RTD civ. 1909. 611), mais l’on ne saurait aller plus loin. Alors que la question est sans doute plus complexe pour les fantômes.

8. Les fantômes ont eu une existence humaine par le passé. En cela, ils rappellent, à certains égards, les Paul Fournier ou Raymond Martinot revenus de l’enfer glacé (v. « Cryogénies », Versus, n° 4, 2013, p. 4). Faut-il vraiment considérer la personne laissant son âme derrière elle comme étant juridiquement décédée ? Pourquoi ne pas, sinon, appliquer le régime de la disparition (C. civ., art. 88), du moins voir dans le fantôme, ce revenant, un absent qui « reparaît» (C. civ., art. 129) ? Ne pourrait-il ainsi reprendre ses biens dans l’état où ils se trouvent (C. civ., art. 130) ?

Évidemment, la réponse doit être négative : en l’état actuel du droit, l’on ne voit guère comment reconnaître d’existence patrimoniale au fantôme, lui qui n’est qu’une « faible imitation de la vie » (cf. supra, n° 3), l’empreinte d’un sorcier décédé – aucune juridiction n’ayant, à ce titre, admis de reconnaître l’existence d’une discrimination à l’égard des moldus –, dont le seul quotidien est de hanter les lieux qu’il fréquentait ante mortem. Le droit est trop rétif à l’éternité pour accueillir le fantôme comme une personne, fantôme qui résiste même aux yeux revolver d’un Basilic (CS, chap. 11) ! Mais dès lors, il faut en déduire qu’il tombe dans la catégorie de bien.

B. Un bien ?

9. De lege lata, tout ce qui n’est pas personne est bien, et tel doit donc être le cas tant des esprits frappeurs que des fantômes. Mais les biens se subdivisent en nombre d’espèces, supposant de tenter une approche plus précise de ces deux créatures.

10. On l’a dit (cf. supra, n° 7) : la qualification de personne n’a jamais été envisagée à propos des esprits frappeurs – ce qui rend peu compréhensible la possibilité d’identifier Peeves, au contraire des autres créatures magiques, sur la carte du maraudeur (PA, chap. 10)… Mais s’il s’agit de biens, ils sont évidemment spécifiques, une doctrine autorisée y voyant des « non-êtres » (N. Scamander, Les animaux fantastiques, Obscurus Books, 53e éd.). Est-ce à dire qu’ils sont rejetés dans le non-droit ? Sans doute pas.

En réalité, il faut vraisemblablement, bien que le qualificatif « sensible » puisse surprendre les élèves de Poudlard confrontés à Peeves, voir dans les esprits frappeurs des êtres doués de sensibilité magique, au sens de l’article 515-14 (v. la contribution consacrée à ces créatures). Il semble en effet que la législation protectrice des animaux magiques pourrait utilement être transposée aux esprits frappeurs, qui doivent tout de même être protégés par le droit. En revanche, cette qualification, aussi protectrice soit-elle, paraît devoir être exclue pour les fantômes.

11. De fait, les fantômes se sont, par le passé, explicitement opposés à l’assimilation aux animaux, le Ministère de la magie ayant cédé à leurs sirènes, en créant des services spécifiquement consacrés aux Êtres et aux Esprits (N. Scamander, op. cit.). Le fantôme n’est ainsi ni une personne, ni ce bien spécifique qu’est l’animal. Faut-il alors y voir un bien comme les autres ? La réponse doit, ici encore, être négative.

On sait combien l’appréhension juridique de la mort est délicate : interdiction d’exposer des cadavres (Civ. 1re, 16 sept. 2010, Our Body) ; de publier la photographie d’une personne décédée (Civ. 1re, 20 déc. 2000, Érignac) ; et il n’est qu’à songer aux réticences doctrinales face à la qualification de dépôt pour le cas de la conservation d’un cadavre (Civ. 2e, 17 juill. 1991, Bull. civ. II, n° 233 : v. note critique de P.-Y. Gautier, RTD civ. 1992. 412), la solution valant sans doute aussi dans le monde magique, comme en témoignent les éclairants développements de J. Picon sur le contrat de coffre-fort (voir la contribution consacrée aux contrats et liens magiques en droit sorcier). Or, ne faudrait-il pas appréhender les fantômes à la manière du cadavre ?

12. Il s’agirait là d’un moyen commode de faire entrer le fantôme dans la summa divisio des biens et des personnes. Pourtant, à l’image d’autres biens tels que les horcruxes ou les portraits (v. art. préc. [lien biens magiques #], n° 12), ne faut-il pas s’interroger sur l’extraction hors de la qualification de bien ? Si le dépassement de la summa divisio est impossible de lege lata, elle devrait ainsi être envisagée de lege feranda, une commission de réflexion étant, ici encore, nécessaire. Car le régime des biens n’est guère adapté aux fantômes.

II. Régime

13. Esprits frappeurs et fantômes sont ainsi des biens par défaut, et des biens extrêmement particuliers. Êtres doués de sensibilité pour les premiers, reproductions post mortem d’individus pour les seconds, leur appréhension par le droit est rendue délicate. Cela apparaît à l’étude des comportements qu’ils peuvent avoir, mais aussi de ceux qu’ils vont parfois subir. Il convient ainsi de mener une analyse tant endogène (A) qu’exogène (B).

A. Analyse endogène

14. L’analyse endogène vise à observer les manifestations juridiques prenant leur source dans l’objet d’étude, ce qui revient à étudier le comportement des fantômes et esprits frappeurs. Or, apparaît ici une grande difficulté si l’on retient la qualification de bien à leur propos : ils ne pourraient pas passer d’actes juridiques, au contraire de la réalisation de faits juridiques.

15. En principe, un bien ne saurait passer des actes juridiques: la volonté de produire des effets de droit présuppose l’humanité. Même les animaux les plus intelligents ne sauraient prétendre conclure de tels actes. Or, s’il apparaît qu’une telle paralysie ne gêne sans doute guère les esprits frappeurs, dont la seule raison d’être (ou de non-être…) est de semer le chaos, n’y aurait-il là une entrave importante à la vie juridique des fantômes ?

Ainsi, l’impossibilité pour un bien de passer des actes juridiques ne vient-elle pas contredire la création, par certains fantômes, du Club des Chasseurs sans tête, qui prend sans doute la forme d’une association loi 1901 – même si les statuts semblent difficilement accessibles en préfecture ? Un bien, même spécial, pourrait-il se lier ainsi par contrat ? N’est-ce pas le signe de l’insuffisance de la qualification ? Mais en même temps, reconnaître au fantôme la possibilité de conclure des contrats, n’est-ce pas risquer de générer des engagements perpétuels prohibés par le droit français ? De même, un fantôme peut-il demander à ce que soit célébré son mariage de façon posthume, sur le fondement de l’article 171 du Code civil ?

16. L’insuffisance de la qualification de bien paraît moins criante à propos des faits juridiques, puisque ceux-ci ne supposent aucune volonté. Il faut alors s’interroger sur l’application du droit commun de la responsabilité en présence du fait d’un esprit frappeur ou du fait d’un fantôme.

L’esprit frappeur ne saurait être responsable, n’étant qu’un bien, mais son fait pourrait a priori entraîner le jeu de la responsabilité du fait des choses. Sauf à constater un obstacle de taille : est-il possible d’identifier une personne ayant l’usage, la direction et le contrôle de la chose, conditions de la garde (Ch. réun., 2 déc. 1941, Franck, GAJC, t. 2, n° 203), laquelle est nécessaire à l’engagement de la responsabilité ? L’esprit frappeur étant incontrôlable, les critères semblent dépassés, et il faudrait sans doute créer un régime d’indemnisation automatique inspiré de la loi de 1985, avec obligation d’assurance pesant, par exemple, sur les propriétaires des lieux hantés par ces non-êtres. Mais la garde de Peeves ne pourrait-elle être retenue, sinon à l’égard de Dumbledore, qui ne parvient qu’à le raisonner, mais à la charge du Baron Sanglant, qui peut le maîtriser (ES, chap. 7 ; ES, chap. 16) ?

Mais faire peser la garde sur le Baron Sanglant suppose qu’un fantôme puisse être responsable du fait des choses. Or, pratiquement, les fantômes ont perdu leurs biens, qui sont transmis à leurs ayants droit. Et théoriquement, la perte de la personnalité emporte disparition du patrimoine, et donc impossibilité de répondre de quelqu’un ou quelque chose. Ainsi, toute forme de responsabilité, dans sa finalité réparatrice, paraît exclue en présence de fantômes. Le Baron Sanglant peut donc dormir tranquille. Mais s’il venait lui-même à causer des dommages, pourrait-on retenir la qualité de gardien sur un sorcier quelconque ? Le vide juridique sur cette question pose un vrai problème, et résulte directement de la qualification peu adaptée de bien. Et le vide juridique apparaît également lorsqu’est menée une analyse exogène.

B. Analyse exogène

17. L’analyse exogène est celle des manifestations juridiques prenant leur source en dehors de l’objet d’étude, mais ayant des répercussions sur lui. Comment sanctionner les atteintes aux fantômes ou aux esprits frappeurs ? La difficulté est double, d’ordre substantiel et procédural.

18. Sur le plan substantiel, comment qualifier pénalement les atteintes portées aux fantômes et esprits frappeurs ? Pour les seconds, si l’on admet leur assimilation à des êtres doués de sensibilité magique, la législation protectrice de tels êtres aura vocation à s’appliquer. Mais quid des fantômes, qui ne ressortissent pas de cette qualification ?

Le principe de légalité criminelle ne s’oppose-t-il pas, par exemple, à l’application de la législation protectrice du cadavre aux fantômes ? Faut-il se contenter d’appliquer le droit pénal des biens, alors que la dématérialisation qui l’affecte n’est sans doute pas assez poussée pour aller jusqu’à admettre la soustraction ou le détournement de fantôme ? Le fantôme ou l’esprit frappeur est-il même susceptible de possession ou d’appropriation ? Ou bien peut-on poursuivre les atteintes aux fantômes comme s’il s’agissait d’atteintes aux personnes, au mépris de l’interprétation stricte de la loi criminelle ? On le voit, il faut sans doute conclure, ici encore, à un vide législatif.

19. Et le constat est le même au plan procédural: les questions sont bien plus nombreuses que les solutions… Ainsi, dès lors que des témoins peuvent être appelés au procès, est-il possible, aux assises, d’appeler le fantôme pour qu’il témoigne sur les circonstances de sa mort ? Quelle serait l’objectivité d’un tel témoignage ? Est-il même possible d’être à la fois témoin et victime ?

Mais le fantôme peut-il être vu comme une victime, pouvant exercer l’action civile devant les juridictions répressives, pour des atteintes subies de son vivant ? Mimi Geignarde peut-elle déclencher les poursuites contre Tom Jedusor ? Auquel cas, faut-il considérer que l’effet suspensif lié à la minorité de la victime est maintenu ad vitam – si l’on veut – eternam ? Et faut-il admettre le cumul d’actions du fantôme et des héritiers ? N’y a-t-il pas un risque d’abus de constitution de partie civile – sauf à refuser l’action, faute pour le fantôme d’avoir consigné le montant de l’amende civile ?

20. On le voit : le statut des fantômes et des esprits frappeurs est aujourd’hui très lacunaire. La situation est préoccupante, au regard de leur place de plus en plus fondamentale en droit sorcier. Plutôt que de moderniser le droit des obligations ou le code du travail, la Chancellerie ne devrait-elle pas avoir d’autres priorités ?

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